Une méthode de tirage au sort innovante

Comment constituer un panel citoyen représentatif de la diversité des habitants d’un territoire sans recours à des prestataires ou des achats de fichiers ?

— Retour d’expérience —

INFO

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Le tirage au sort est un des instruments historiques de la démocratie. Il constitue l’un des moyens de participation citoyenne les plus innovants qui existent, permettant de regrouper un panel de citoyens représentatifs de la diversité du territoire. Aujourd’hui, la mise en œuvre d’un tirage au sort s’avère cependant délicate et fait l’objet d’une ingénierie importante pour garantir l’impartialité du processus. 

Dans le cadre de l’expérimentation d’innovation démocratique « 0 Déchet & 100% Citoyen« , le SMICVAL et le Labo de Démocratie Ouverte ont souhaité imaginer une méthode créative et innovante de tirage au sort, moins lourde et plus souple, pour inclure un panel de 15 citoyennes et citoyens. Testée dans une logique d’essai-erreur sur le terrain du 25 au 27 mai 2021, cet article vous présente la documentation de cette expérience inspirante et le point sur les apports et les limites de cette démarche d’innovation démocratique.

Les équipes de terrain en plein exercice de lancer de fléchettes

Grands principes de la méthode

La méthode du tirage au sort testée est un instrument indispensable à l’expérimentation : elle permet de constituer un panel inclusif et délibératif, pour donner la parole à des citoyens ordinaires (un groupe de 15 personnes) dans l’élaboration d’opportunités de participation citoyenne directe vers une démarche zéro déchet.

Construire le mandat et les critères de représentativité

Au préalable, l’équipe d’expérimentation (regroupant le SMICVAL et le Labo) a construit le mandat citoyen pour le panel. Il s’agit des missions conférées aux citoyens tirés au sort par les représentants élus du SMICVAL, incluant leurs engagements politiques (ou « promesses »), le calendrier et les modalités de rétribution en bons d’achat locaux

En plus du mandat, notre démarche de mobilisation citoyenne se base sur des critères de représentativité, pour inclure un panel caractéristique de la diversité des habitants sur le territoire. Autrement dit, il s’agit d’identifier avant tout un « qui«  pour construire des « fiches-profils » des panélistes selon l’âge, la parité de genre, la catégorie socio-professionnelle, ville/campagne & maison/appartement, répartition géographique sur le territoire (haute gironde & grand libournais), connaissance et pratique (ou non) de la démarche zéro déchet zéro gaspillage.

Il faut savoir que notre démarche ne cherchait pas à obtenir un échantillon représentant toutes les catégories de publics, mais de recruter des citoyens qui ne s’engagent pas habituellement en tant qu’usager-acteur des démarches du SMICVAL. Autrement dit, maximiser le caractère inclusif du panel pour révéler une diversité géographique et socioculturelle de la participation des habitants qui dépassent les TLMs (« Toujours les Mêmes »).

ZOOM sur la méthode du tirage au sort

Notre méthode de tirage au sort s’appuie sur une méthode spécifique hybridant l’utilisation d’un outil de tirage au sort – le fait de lancer des fléchettes sur une carte – avec des techniques d’enquêtes sociales de terrain (micro-trottoirs, porte-à-porte, bouche-à-oreille…).

L’objectif général est de partir rencontrer directement les habitants « là où ils sont » en équipe de trois (élu – agent – Labo de DO) et de leur proposer de prendre part à la démarche à partir d’un pitch de mobilisation construit au préalable, le RAP (Recherche Active à la Participation). Cette première étape vise également à constituer une base de contacts (acces au panel ou autres).

Lancer des fléchettes en action

Le RAP
De quoi parle-t-on ?

Défini comme une « Recherche Active à la Participation« , il s’agit d’une technique de mobilisation inspirée du community organizing et qui se comprend comme un « pitch » décliné en deux grands principes :

  • Un fil conducteur qui suit des étapes de discussion dont l’objectif est de susciter l’adhésion de la personne rencontrée au panel citoyen. Le dialogue suit une logique « bottom-up«  : l’idée est de partir et de transformer les colères, besoins et/ou attentes de la personne comme un vecteur d’engagement et coopération, pour lui proposer au fur et à mesure une implication directe dans le panel ;
  • Des questions précises pour mener un « entretien informel » : le dialogue sert à apprendre à connaître l’habitant.e dans un cadre convivial et sincère afin d’identifier si la personne correspond critères de représentativité définis pour les panélistes.

Porte-à-porte pour aller rencontrer les habitant.es tiré.es au sort !

Travail d’enquête sociale et de terrain

La préparation : formation par le jeu de rôle

Avant de faire le tirage au sort et de partir sur le terrain, le Labo de Démocratie Ouverte proposait des temps de formation-action d’1H30 tous les matins dédiés à acculturer les équipes de terrain. Voici les grands principes : 

  • Une présentation des grands principes méthodologiques de la méthode du tirage au sort et l’apport de retours d’expériences issus des debriefs réalisés à la fin de chaque journée (astuces, tuyaux, choses à éviter…).
  • La constitution des équipes de terrain « élu-agent-Labo » pour apprendre à connaître ses partenaires de la journée en amont de l’enquête et travailler ensemble pour s’approprier les rôles / le RAP.
  • L’animation de « jeu de rôle » : chaque groupe mettait en situation les temps de rencontres et d’échanges entre les équipes et les habitants du territoire. Avec une consigne : il et elle devait mimer tous les rôles, gestes et comportements… Même le porte-à-porte ou le citoyen grincheux 🙂

Formation : présentation de la méthode de tirage au sort

La préparation : matériel et logistique du terrain

La question de la logistique apparaît essentielle pour prévoir le matériel indispensable pour la réalisation du tirage au sort et de l’enquête de terrain :

  • Un groupe WhatsApp (ou Télégram) pour informer le coordinateur global, les équipes entre elles (« nous avons identifié et recruté un jeune de moins de 26 ans en Haute Gironde » ou « l’équipe 1 a crevé ! »…) ;
  • Une grande carte imprimée représentant le territoire du SMICVAL ;
  • La mise à disposition de plusieurs voitures (correspondant au nombre d’équipes de terrain) ;
  • Des « carnets de bord » pour les équipes incluant des stylos, des documents (le mandat en A4, flyers / infographies du SMICVAL, le RAP & les profils des panélistes), des fiches de prise de notes sur les habitants (genre, âge, adresse, métier, notes sur l’environnement, contacts mail & téléphone…) et pour documenter la démarche (est-ce que telle phrase du RAP fonctionne ? Est-ce que telle ou telle posture ouvre la discussion…) ;
  • Des symboles pour être visible au nom du SMICVAL (gilets, logo, etc.) ;
  • Du matériel vidéo / photo (portable, stabilisateur…) pour réaliser un mini-reportage du terrain.

La grande carte du territoire du SMICVAL

Le terrain : résultats, succès et limites

La phase de recrutement des panélistes par tirage au sort a permis de mobiliser sur trois journées 15 équipes :

  • Le 25 mai : cinq équipes de terrain (3 équipes de 3 & 2 équipes de 2) regroupant 13 personnes (dont 3 élus) sont parties sur le territoire du SMICVAL pour recruter les panélistes tirés au sort.
  • Le 26 mai :  cinq équipes de terrain (3 équipes de 3 & 2 équipes de 2) regroupant 13 personnes (dont 2 élus) sont parties sur le territoire du SMICVAL pour recruter les panélistes tirés au sort.
  • Le 27 mai :  cinq équipes de terrain (5 équipes de 3) regroupant 15 personnes (dont 3 élus) sont parties sur le territoire du SMICVAL pour recruter les panélistes tirés au sort.

Au total, 74 habitant.es ont dit oui, 29 ont besoin de temps pour réfléchir et 53 personnes « non » ne sont pas intéressées par le panel mais souhaitent être informées par la démarche. L’enquête de terrain a permis d’aller vers les citoyens, de créer/instaurer des relations plus durables et moins « institutionnelles », dans une logique de mobilisation des publics souvent éloignés du SMICVAL, de la réduction des déchets et des dispositifs de participation citoyenne. 

Quelques limites de la méthode ont cependant été notées.

  • La question de la représentation des jeunes. Public sous-représenté dans notre enquête sociale par rapport aux autres profils panélistes, la difficulté de rencontrer des jeunes (entre 16 et 25 ans) a été un obstacle. Cela nécessite peut-être de se concentrer sur des zones urbaines, dans la mesure où le tirage au sort s’est porté surtout en ruralité, et/ou d’aborder d’autres outils de participation citoyenne proches des pratiques de ce public, comme le numérique.
  • Un des axes de l’expérimentation propose de « faire savoir, raconter et communiquer massivement pour mettre en scène l’expérimentation et « provoquer » l’engagement citoyen« . Si un des rôles des équipes était chargé de prendre des photos/vidéos en vue de documenter et de communiquer sur la démarche, cet axe n’a pas été assez investi et il aurait été important de faire appel à un.e expert.e capable de réaliser un mini-reportage en direct et d’utiliser des outils de communication non-conventionnels (Youtube, Story Instagram, Snapchat, Tiktok…). Et qui aurait peut-être attiré l’attention du public des jeunes !
La suite : garder le contact !

A partir de nos expériences professionnelles et personnelles, nous sommes partis du constat qu’une participation « par invitation » par laquelle les habitants répondent à la sollicitation d’une collectivité territoriale ne doit pas être conduit sur du « one-shot ». Sinon, elle ne suffira pas à instaurer une relation de confiance et un engagement pérenne des citoyens et citoyennes. 

A la suite du terrain, une des actions a été donc de mettre en place un CRM, outil d’animation de communauté. En respectant les consignes RGPD, un tableau excel de GRC (pour Gestion de la Relation aux Citoyens) a été constitué pour classer et qualifier les habitants rencontrés sur le territoire lors de l’enquête de terrain selon des niveaux d’implication dans l’expérimentation : 

  • Centralisation des informations des habitants (si consentement de la personne) pour qualifier la base de données-contact.
  • Coordination et suivi de différents cercles d’engagement : le panel citoyen (cercle 1 des « oui »), ceux qui souhaitent être engagés ailleurs (cercle 2 des « peut-être ») et ceux qui souhaitent juste être informés (cercle 3 des « non »).

Pour anticiper le risque de perte du lien social, un contact direct avec les personnes ayant donné leurs coordonnées a été activé. En premier lieu, un SMS différent a été envoyé aux trois catégories de public rencontré : le groupe de « oui », de « peut-être » et de « non » (le non signifie « non au panel » et « oui pour être informé »). Ce sms a ensuite été suivi d’un deuxième RAP téléphonique, réalisé pour garder le contact avec les habitants motivés (en s’appuyant sur le CRM), tisser des rapports conviviaux dans des échanges ouverts et commencer à donner les premiers éléments de la suite de l’expérimentation.

Un défi de taille apparaît ! Articuler au tirage de sort testé sur le terrain la motivation et la disponibilité des citoyennes et citoyens aux prochaines étapes de la démarche.

ALLER PLUS LOIN

Comprendre les enjeux, défis et méthodes de tirage au sort

Le Réseau des Territoires d’innovation démocratique, en partenariat avec la ville de Grenoble, a organisé un webinaire autour du tirage au sort et des modalités concrètes de son utilisation par les collectivités territoriales.

Découvrez le webinaire « Réinventer la démocratie par le tirage au sort » directement ICI.